SABY
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« Luvre de Saby va certainement surprendre. Elle surprendra dabord ceux, très nombreux, qui, ignorant jusquà son nom, sétonneront quune uvre si puissamment originale ait pu rester si peu connue. Elle surprendra aussi par son ampleur et sa variété insoupçonnée, ceux qui la connaissent déjà.
Que dire de cette uvre ? Dabord quelle fut essentiellement exploratoire, expérimentale, aventureuse. Lévoquant longuement, en « troisième dessous » dans « le rêve des lichens », Michel Butor parlait à juste titre dun « grand voyageur et traverseur de voies périlleuses ». Par là sexplique la grande considération que Michaux témoignait publiquement à Bernard Saby. Patrick Waldberg disait, de son côté, et non moins justement, quà trente-six ans (donc en 1961), Bernard Saby était sans doute, de sa génération, « le plus intrépide côtoyeur dabîmes ».
Si lon voit dans les uvres dadolescence imitative, qui précédèrent la phase de valeureuse virilité, quil avait sans doute jeté des regards du côté des Magnelli, de Nicolas de Staël, de Vieira da Silva, son chemin devint vite si particulier quon ne savait où le classer. Malgré le suffrage fervent de Patrick Waldberg ou ceux dAlain Jouffroy ou dAndré Pierre de Mandiargues, on ne pouvait le considérer comme un surréaliste. Il était au plus loin des drôleries dun Magritte ou dun Dali. Et quoiquébahi par les prouesses du peintre dans le domaine des miniatures à la gouache, au lavis ou à la tempera, Julien Alvard ne pouvait raisonnablement embarquer un art si calculé sur le bateau où il hébergeait les lyriques de labstraction. La singularité de luvre na pas moins contribué à son occultation quune certaine sauvagerie naturelle du peintre. Lécrivain dart, qui ne peut situer un artiste dans lhistoire dun groupe, sen tire souvent par le silence.
Il est vrai que le chemin et le travail de Bernard Saby sont particulièrement déconcertants. Il sétait dabord voulu compositeur. Ayant, comme son ami Pierre Boulez, poussé assez loin les études de mathématiques, il sétait comme lui instruit auprès de René Leibowitz des ouvertures de la dodécaphonie et de latonalité. Puis, se sentant plus doué pour les arts graphiques, il avait changé son fusil dépaule. Au vrai ceux qui lont connu, et québlouissaient la multiplicité de ses curiosités, la solidité de ses connaissances, loriginalité de ses vues, ont eu souvent le sentiment quil eût pu aussi bien se distinguer en de tout autres domaines. Mais il est évident que la sureté de son trait faisait penser à Giotto, capable de tracer un cercle parfait dun seul jet, que la netteté avec laquelle il distinguait et savait rendre perceptibles les différentes nuances dun même couleur, étaient éberluantes et quenfin la nature lavait doté de facilités exceptionnelles quant à lexécution micrographique. A partir de tels dons, il sest livré à de véritables explorations expérimentales. Les effets doptique produits par linteraction des formes et des couleurs lintriguaient furieusement. Quelques-unes de ses uvres, faisant penser à des gammes et à des exercices, ont pu déplaire à quiconque oubliait que les études de Chopin ou de Debussy ne sont pas les moins passionnantes de leurs productions. Heureusement dans beaucoup duvres de Saby, le poète émerge de lexpérience optique. Il nétait pas seulement attentif aux propriétés plastiques, mais aussi aux propriétés émouvantes des formes et des couleurs. Il savait, parmi des centaines de motifs possibles, distinguer et préférer celui qui se prêtait le mieux à des développements étranges ou merveilleux. Car, passionné détudes, il restait fondamentalement en quête dinattendu, avide dinsolite et dextraordinaire. Suggérer, malgré la fixité des figures, lenchantement des formes, qui se modifient ou se développent orchestralement selon des rythmes précis et variés, telle semble avoir été sa paradoxale ambition. Elle explique ses curiosités psychédéliques, dont on ne saurait sous-estimer limportance essentielle. Comme dautres, il y développa sans doute une sagacité particulière quant au jeu des valeurs et donc à lorchestration plastique des couleurs. Plus singulièrement, il jouait volontiers de perspectives inversables, doù, ici et là, en certaines zones finement traitées, de très curieux effets de tremblement. Des paysages fantastiques, teintés tantôt dantiquité fabuleuse, tantôt dune vive modernité, se dégageaient aussi parfois de ses recherches. Il passait et nous faisait passer des grottes reptiliennes aux lumières des cités futures. Il fuyait, semble-t-il, le décoratif, mais ne lévitait pas toujours. Peut-être ne peut-on pas étudier la peinture de Saby sans évoquer son ambition première de compositeur. Il est sans doute de tous les peintres contemporains, celui qui fait penser le plus souvent à Bach. Mais cest à un Bach tout moderne, un Bach qui se serait enivré de Schoenberg, de Webern, de Boulez quil nous mène. Ses couleurs, parfois stridentes ou grinçantes, dont les rapports fuient fréquemment les règles dun certain bon goût traditionnel, sont celles dun homme dont la jeunesse fut enchantée par les lumières artificielles des villes nocturnes, celle dun homme passionné par les figures pédagogiques des livres de minéralogie, de géologie, de cytologie animale ou végétale, figures que sa curiosité savante transmute dans des espaces vectoriels, où les isomorphies et les anamorphoses se résolvent de temps à autres en phénomènes analogues à ceux qui font le charme bien connu de la rime et du leitmotiv, ou plutôt celui plus secret, de lallitération. Par là des paysages quasi piranésiens se trouvent intimement liés à tout un domaine de la modernité, celui où se compénètrent la science, la technique et la musique, domaine quassez curieusement la peinture moderne semble communément ignorer.
La vie de Saby se prête à un schéma simple. Il est né en 1925, mort en 1975. Il ne sest mis à peindre quaux abords de 1950. Une vie donc dun demi-siècle, en plein centre du XX siècle, et dont la seconde moitié fut toute vouée à la peinture. » André Berne Joffroy in catalogue du Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, 1986.
Que dire de cette uvre ? Dabord quelle fut essentiellement exploratoire, expérimentale, aventureuse. Lévoquant longuement, en « troisième dessous » dans « le rêve des lichens », Michel Butor parlait à juste titre dun « grand voyageur et traverseur de voies périlleuses ». Par là sexplique la grande considération que Michaux témoignait publiquement à Bernard Saby. Patrick Waldberg disait, de son côté, et non moins justement, quà trente-six ans (donc en 1961), Bernard Saby était sans doute, de sa génération, « le plus intrépide côtoyeur dabîmes ».
Si lon voit dans les uvres dadolescence imitative, qui précédèrent la phase de valeureuse virilité, quil avait sans doute jeté des regards du côté des Magnelli, de Nicolas de Staël, de Vieira da Silva, son chemin devint vite si particulier quon ne savait où le classer. Malgré le suffrage fervent de Patrick Waldberg ou ceux dAlain Jouffroy ou dAndré Pierre de Mandiargues, on ne pouvait le considérer comme un surréaliste. Il était au plus loin des drôleries dun Magritte ou dun Dali. Et quoiquébahi par les prouesses du peintre dans le domaine des miniatures à la gouache, au lavis ou à la tempera, Julien Alvard ne pouvait raisonnablement embarquer un art si calculé sur le bateau où il hébergeait les lyriques de labstraction. La singularité de luvre na pas moins contribué à son occultation quune certaine sauvagerie naturelle du peintre. Lécrivain dart, qui ne peut situer un artiste dans lhistoire dun groupe, sen tire souvent par le silence.
Il est vrai que le chemin et le travail de Bernard Saby sont particulièrement déconcertants. Il sétait dabord voulu compositeur. Ayant, comme son ami Pierre Boulez, poussé assez loin les études de mathématiques, il sétait comme lui instruit auprès de René Leibowitz des ouvertures de la dodécaphonie et de latonalité. Puis, se sentant plus doué pour les arts graphiques, il avait changé son fusil dépaule. Au vrai ceux qui lont connu, et québlouissaient la multiplicité de ses curiosités, la solidité de ses connaissances, loriginalité de ses vues, ont eu souvent le sentiment quil eût pu aussi bien se distinguer en de tout autres domaines. Mais il est évident que la sureté de son trait faisait penser à Giotto, capable de tracer un cercle parfait dun seul jet, que la netteté avec laquelle il distinguait et savait rendre perceptibles les différentes nuances dun même couleur, étaient éberluantes et quenfin la nature lavait doté de facilités exceptionnelles quant à lexécution micrographique. A partir de tels dons, il sest livré à de véritables explorations expérimentales. Les effets doptique produits par linteraction des formes et des couleurs lintriguaient furieusement. Quelques-unes de ses uvres, faisant penser à des gammes et à des exercices, ont pu déplaire à quiconque oubliait que les études de Chopin ou de Debussy ne sont pas les moins passionnantes de leurs productions. Heureusement dans beaucoup duvres de Saby, le poète émerge de lexpérience optique. Il nétait pas seulement attentif aux propriétés plastiques, mais aussi aux propriétés émouvantes des formes et des couleurs. Il savait, parmi des centaines de motifs possibles, distinguer et préférer celui qui se prêtait le mieux à des développements étranges ou merveilleux. Car, passionné détudes, il restait fondamentalement en quête dinattendu, avide dinsolite et dextraordinaire. Suggérer, malgré la fixité des figures, lenchantement des formes, qui se modifient ou se développent orchestralement selon des rythmes précis et variés, telle semble avoir été sa paradoxale ambition. Elle explique ses curiosités psychédéliques, dont on ne saurait sous-estimer limportance essentielle. Comme dautres, il y développa sans doute une sagacité particulière quant au jeu des valeurs et donc à lorchestration plastique des couleurs. Plus singulièrement, il jouait volontiers de perspectives inversables, doù, ici et là, en certaines zones finement traitées, de très curieux effets de tremblement. Des paysages fantastiques, teintés tantôt dantiquité fabuleuse, tantôt dune vive modernité, se dégageaient aussi parfois de ses recherches. Il passait et nous faisait passer des grottes reptiliennes aux lumières des cités futures. Il fuyait, semble-t-il, le décoratif, mais ne lévitait pas toujours. Peut-être ne peut-on pas étudier la peinture de Saby sans évoquer son ambition première de compositeur. Il est sans doute de tous les peintres contemporains, celui qui fait penser le plus souvent à Bach. Mais cest à un Bach tout moderne, un Bach qui se serait enivré de Schoenberg, de Webern, de Boulez quil nous mène. Ses couleurs, parfois stridentes ou grinçantes, dont les rapports fuient fréquemment les règles dun certain bon goût traditionnel, sont celles dun homme dont la jeunesse fut enchantée par les lumières artificielles des villes nocturnes, celle dun homme passionné par les figures pédagogiques des livres de minéralogie, de géologie, de cytologie animale ou végétale, figures que sa curiosité savante transmute dans des espaces vectoriels, où les isomorphies et les anamorphoses se résolvent de temps à autres en phénomènes analogues à ceux qui font le charme bien connu de la rime et du leitmotiv, ou plutôt celui plus secret, de lallitération. Par là des paysages quasi piranésiens se trouvent intimement liés à tout un domaine de la modernité, celui où se compénètrent la science, la technique et la musique, domaine quassez curieusement la peinture moderne semble communément ignorer.
La vie de Saby se prête à un schéma simple. Il est né en 1925, mort en 1975. Il ne sest mis à peindre quaux abords de 1950. Une vie donc dun demi-siècle, en plein centre du XX siècle, et dont la seconde moitié fut toute vouée à la peinture. » André Berne Joffroy in catalogue du Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, 1986.
"J'essayais d'organiser mes oeuvres par des symétries, puis par des homologies. C'est à dire que je faisais jouer une forme avec une autre semblable mais plus grande ou plus petite. A partir du moment où l'oeil identifiait une série de formes semblables croissantes ou décroissantes, automatiquement, celles-ci se disposaient dans l'espace".
Bernard Saby in "Conversation avec Michel Butor", catalogue du Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, 1986.
Bernard Saby in "Conversation avec Michel Butor", catalogue du Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, 1986.